An Arid Eden
Une Rencontre
J’ai découvert le livre “An Arid Eden” de Garth Owen-Smith sur la grande table de bois sombre de la terrasse silencieuse du lodge d’Etembura qui surplombe les plaines sacrées d’Onjuva imprégnées de mystère, avec plusieurs récits différents sur la raison pour laquelle la région a été consacrée par les éleveurs semi-nomades Himbas qui vivent ici. La tradition veut que les animaux des plaines soient protégés par les esprits ancestraux. Etambura est le premier camp co-géré par les Himbas de Namibie. Il est situé dans la conservancy d'Orupembe, dans la région du Kaokoveld au Nord-Ouest du pays.
Quel meilleur endroit pour prendre dans ses mains ce livre, témoignage fascinant et profond sur la vie et le travail de conservation naturelle en Namibie. L'auteur a consacré presque toute sa carrière à lutter contre les menaces pesant sur la faune africaine. Le choix de sa bataille n'est pas anodin : le Kaokoveld, à la fois rude, magnifique et presque inconnu, représente pour Owen-Smith un véritable “Eden aride”.
Cet ouvrage, qui est un véritable livre d’aventure, est dense et détaillé, offrant un compte rendu complet des défis rencontrés dans la mise en place et le maintien de projets de conservation naturelle basés sur une approche systémique qui englobe l’interaction constante entre la faune et les communautés. Il aborde les problématiques de la gestion de la faune en Afrique, allant des enjeux de chasse aux questions de propriété foncière et de colonialisme, ainsi que les défis culturels et politiques. C'est une lecture éclairante et inspirante pour tous ceux qui sont à la recherche d’une approche sérieuse quant à la compréhension de la gestion de la faune en Afrique avec le rôle crucial et modélisant des conservancies.
Une Vision
Dès ses jeunes années passées dans le Kaokoveld, Owen-Smith a développé une forte affinité avec les peuples autochtones de la région – les Himba, Herero, et Damara – et a réalisé qu'ils avaient développé une forme idéale de conservation de la nature, permettant une coexistence équilibrée entre les humains, leurs troupeaux, et la faune sauvage. Après avoir été expulsé du Kaokoveld en 1970, et après diverses péripéties à travers l'Australie, la Rhodésie (aujourd'hui Zimbabwe), et l'Afrique du Sud, Owen-Smith est retourné en Namibie en 1978 pour entamer l’œuvre de sa vie : sauver ce qui restait de la riche faune du Kaokoveld en déclin rapide en raison d'une gestion médiocre, de la perte du soutien des communautés locales et des conflits armés dans les années 1970 et 1980.
Garth a travaillé en étroite collaboration avec les communautés depuis les années 1980, en encourageant notamment les chefs traditionnels à nommer des rangers communautaires, après avoir développé cette idée avec le chef traditionnel Joshua Kangombe. Garth et sa partenaire, le Dr Margaret Jacobsohn, ont rapidement fondé le Développement Rural Intégré et la Conservation de la Nature (IRDNC) pour soutenir le déploiement de ces rangers et aider les populations à établir les premières réserves communautaires.
Au cours des premières années, de nombreuses personnes - au sein des communautés, du gouvernement et des donateurs - voulaient d’abord comprendre ce qu'étaient les réserves communautaires et comment elles fonctionneraient avant de pouvoir adhérer à l'idée. Garth et son équipe de l'IRDNC se sont donc concentrés sur la sensibilisation des communautés à la notion de réserve intégrée sans clôture aucune, tout en développant les relations avec le gouvernement et les organismes de financement.
Le succès initial du programme a suscité un soutien et un intérêt croissants, tant au sein qu'au-delà des frontières de la Namibie. Les organisations se sont multipliées (formant finalement le NACSO - Namibian Association of CBNRM Support Organisations), le gouvernement a mis en place des politiques pour soutenir nationalement le CBNRM (Community Based Natural Resource Management), et le programme est devenu mondialement reconnu comme une réussite de conservation communautaire. Le succès du programme n’est bien entendu pas lié à un seul individu, par contre, la capacité de Garth à partager sa compréhension de la conservation communautaire a été essentielle pour obtenir un soutien à tous les niveaux et créer une vision commune.
Avec sa partenaire, le Dr Margaret Jacobsohn, ils ont œuvré pendant une trentaine d'années, remportant nombre de prix majeurs de conservation. Leur travail a non seulement permis de ramener la faune du Kaokoveld du bord de l'extinction, mais aussi de lier le développement communautaire à la gestion des ressources naturelles, pour le bénéfice de milliers de personnes.
Une Réalité
La Namibie a été le premier pays au monde à inscrire la protection de l'environnement dans sa constitution dès l’indépendance en 1990.
Une législation a été introduite pour permettre la formation de territoires de conservation communautaires "afin de promouvoir des activités démontrant que la gestion durable des ressources naturelles peut entraîner un développement social et une croissance économique, et un partenariat approprié entre les communautés locales et le gouvernement."
Initialement établies dans les années 1990, ces zones gérées localement ont été un réel succès, couvrant désormais plus de 20% du territoire namibien, avec un total de 86 conservancies officiellement enregistrées. A titre d’information, le NACSO estime que 47% de la Namibie est en zone de protection naturelle si on additionne les conservancies communautaires avec les communautés forestières, les parcs nationaux et les concessions de tourisme.
Bien que les menaces liées aux braconniers persistent, les communautés locales et les ONG travaillent en collaboration avec le ministère de l'Environnement, des Forêts et du Tourisme pour protéger le rhinocéros noir, l'éléphant et le lion du désert, tandis que les populations d'espèces rares et menacées telles que l'Antilope Sable et l'Impala à face noire ont augmenté. De plus, environ 7000 animaux d'autres espèces ont été transférés des parcs nationaux vers des conservancies communautaires au travers de la Namibie. La libre circulation de la faune entre les territoires et également les pays frontaliers est établie.
Ce succès est également reflété dans le secteur touristique, où les conservancies sont devenues des destinations prisées pour les safaris et l'éco-tourisme. Actuellement, il existe 64 joint-ventures avec des lodges et campings en partenariat dans les conservancies namibiennes, fournissant des emplois directs à des membres de la communauté locale, notamment en tant que guides touristiques, cuisiniers et personnel d'entretien.
Les revenus générés par le tourisme responsable et d'autres activités économiques dans les conservancies sont réinvestis dans des projets de développement local. Ces fonds ont financé des infrastructures telles que des écoles, des centres de santé, des systèmes d'approvisionnement en eau et d'électrification rurale, améliorant ainsi les conditions de vie des habitants, conditions qui restent extrêmement difficiles à cause de l’impact du changement climatique sur leur agriculture.
Un Changement De Paradigme
Ce qu’il faut retenir de l'œuvre de Garth Owen-Smith est son combat permanent pour le changement de paradigme en matière de protection de la nature, d’agriculture et de développement rural. Il n’y a pas d’un côté le développement économique et de l’autre la protection de la nature via des réserves naturelles, aussi grandes soient-elles.
Les conservancies namibiennes incarnent une vision où la conservation de la biodiversité et le développement humain ne sont pas mutuellement exclusifs mais sont intrinsèquement liés. Leur succès souligne l'importance de la collaboration, de l'engagement communautaire et de la gouvernance participative dans la réalisation de la durabilité environnementale. Alors que le monde cherche des solutions aux crises écologiques, le modèle namibien offre une voie prometteuse et surtout essentielle pour notre avenir commun.
Le parcours n'est cependant pas dénué d'embûches. Les conservancies namibiennes continuent de lutter contre les conflits hommes-faune, la pression foncière, le braconnage, les changements climatiques et les difficultés de financement. Chacun de ces défis nécessite des solutions adaptées, innovantes et durables.
L'intégration de nouvelles technologies de suivi de la faune, l'adoption de pratiques agro-écologiques, le développement de partenariats stratégiques, et l'émergence de nouvelles sources de revenus durables sont quelques-unes des pistes à explorer pour assurer l'avenir des conservancies.
Next ?
Le prochain article nous emmènera justement sur ces pistes au cœur d’une des mises en œuvre de cette approche de la conservation dans le delta de l’Okavango au Botswana voisin de la Namibie. Cette immersion se fera avec un spécialiste de ce changement de paradigme, le Dr Graham McCulloch qui a co-fondé Ecoexist Trust. Ecoexist travaille avec une approche systémique sur les causes de conflits hommes-éléphants, les moyens de les réduire, de favoriser la coexistence et de permettre la pérennité de l’écosystème.
Si l’aventure vous tente, contactez nous pour suivre l’exemple de mes récents clients qui ont choisi d’affronter une journée de piste chaotique et sablonneuse pour aller découvrir la Conservancy de Puros dans le Kaokoveld. Avec les guides de la communauté locale ils suivront les pistes de la rivière Hoarusib à la recherche des éléphants du désert, et seront tout comme moi fascinés par leur profonde connexion avec les écosystèmes dont leur survie dépend. L'âme du voyage se révèle alors...un voyage vers soi, un alignement avec soi-même, à notre place dans cette nature qui nous englobe ...et non l'inverse ...